Le groupe fondamental est, comme son nom le laisse supposer, un concept fondamental de la topologie. Le groupe fondamental d'un espace $X$ est composé de lacets dans $X$, deux lacets étant identifiés s'ils sont continûment déformables l'un en l'autre, évidemment en restant dans $X$. Dans cette note, destinée à un public ayant des notions d'algèbre générale, de géométrie et de topologie (disons niveau prépa ou licence), je vais essayer de montrer la richesse de cette notion et ses applications. Sans entrer dans les détails techniques, je souhaite expliquer les idées fondamentales des constructions et évoquer les grands théorèmes, voire les idées intervenant dans les preuves, tout en restant le plus concis possible. Pour les détails, je vous renvoie au livre de Hatcher, que je suis fidèlement.

Considérons un espace $X$ connexe par arcs. Cette hypothèse permet de s'affranchir d'un point de base pour la définition du groupe fondamental. En effet, en général, on considère un point $x \in X$ et les lacets qui partent de $x$ et reviennent à $x$ : ces lacets forment naturellement un groupe, et si on déclare équivalents deux lacets obtenus l'un de l'autre par déformation continue, on obtient le groupe $\pi_1 (X,x)$. Mais si $X$ est connexe par arcs, il est facile de voir que tous les $\pi_1 (X,x)$ pour $x \in X$ sont isomorphes, et on peut oublier le point de base, notant ainsi simplement $\pi_1 (X)$ le groupe fondamental de $X$.

Pour tout un tas d'espaces $X$, le groupe fondamental est trivial, si tous les lacets peuvent être déformés en un point. On qualifie ces espaces de simplement connexes. C'est le cas, par exemple, de $\mathbb{R}^n$. L'espace le plus élémentaire qui ne soit pas simplement connexe est le cercle $S^1$, dans lequel les lacets sont caractérisés par leur nombre d'enroulements, qui est un entier (dont le signe correspond au sens de l'enroulement), ce qui donne $$\pi_1 (S^1) = \mathbb{Z} . $$ Bien qu'intuitivement évidente, cette égalité n'est pas entièrement triviale à démontrer, et possède de nombreuses applications. Par exemple, on peut en déduire le théorème fondamental de l'algèbre, selon lequel tout polynôme non constant à coefficients dans $\mathbb{C}$ possède au moins une racine dans $\mathbb{C}$. En effet, considérons un polynôme (unitaire) $P$ sans racine complexe. On peut alors former la fonction $f_r : S^1 \rightarrow S^1$ définie par $$f_r (s) = \frac{P(r e^{2 \pi i s}) / P(r)}{|P(r e^{2 \pi i s}) / P(r)|}$$ Comme $f_0$ est constante, elle appartient à la classe de lacets de nombre d'enroulement nul. Mais $f_r$ en est une déformation continue pour tout $r$, et donc le nombre d'enroulement reste nul, même pour $r$ très grand. Dans ce régime, $P$ est dominé par son terme de plus haut degré, disons $z^n$, où $n$ est le degré. Mais alors pour $r$ très grand, $f_r (s) \sim e^{2 \pi i s n}$, qui est un lacet de nombre d'enroulement $n$. On en déduit donc $n=0$ !

Le groupe fondamental se comporte bien sous l'action du produit : pourvu que $X$ et $Y$ soient connexes par arcs, on a $\pi_1 (X \times Y) = \pi_1 (X) \times \pi_1 ( Y)$, ce qui permet, par exemple, de calculer le groupe fondamental des tores, $$\pi_1 (T^n) = \mathbb{Z}^n . $$ D'une certaine façon, les tores sont les archétypes des espaces non simplement connexes : ils ont des trous ! Mais il faut se méfier de la notion intuitive de trou : la sphère en deux dimensions $S^2$ (par exemple la surface de la Terre) a évidemment un "trou", qui contient son centre dans l'espace à trois dimensions, mais pourtant tous les lacets sont déformables en un point. Il y a plusieurs types de trous, et c'est l'explication de l'indice $1$ dans $\pi_1$. Le groupe fondamental $\pi_1$ ne s'occupe que des trous détectables par des lacets, qui sont des objets de dimension $1$. Je raconterai un autre jour les aventures des groupes $\pi_n$ pour $n>1$ (on les appelle les groupes d'homotopie). Pour aujourd'hui, nous retiendrons que la sphère est simplement connexe : $$\forall n \geq 2 , \qquad \pi_1 (S^n) = 0. $$ La preuve utilise le fait que $S^n$ peut être recouverte par deux ouverts homéomorphes à $\mathbb{R}^n$, dont l'intersection est connexe si $n \geq 2$ (si $n=1$, l'intersection se compose de deux segments disjoints, et l'argument ne fonctionne plus). Alors les lacets de $S^n$ se décomposent en produit de lacets dans chacun de ces deux ouverts, mais comment ceux-ci sont simplement connexes, on obtient le résultat.

Tout ceci est bel et bon, mais comment calculer le groupe fondamental dans un cas un peu plus général ? C'est ce que je raconterai la prochaine fois...

Référence

Hatcher, Algebraic topology, pdf ici.