Pour ce premier billet consacré à des considérations d'ordre philosophique, rédigé à la veille d'échéances électorales particulièrement fiévreuses en France, je voudrais évoquer une opposition classique : celle du libéralisme contre le républicanisme. On pourra lire à cet égard l'article d'Olivia Leboyer, paru dans le Philosophoire et intitulé Républicanisme et libéralisme – points de rencontre, et que je vais citer abondamment dans ce qui suit.

Une franche opposition de principe

Le libéralisme met l'accent sur les libertés individuelles de chacun des membres de la société, qui est donc un ensemble d'individus qu'il faut distinguer de l'État et du gouvernement. À l'inverse, la conception républicaine de l'État, comme en témoigne l’étymologie de ce terme, est celle d'une communauté de citoyens prenant une part active dans le gouvernement de la cité. Pour caricaturer, le libéralisme offre des droits inconditionnels aux personnes, là où le républicanisme ne conçoit la liberté réelle que dans le cadre du respect de certains devoirs.

On comprend donc que le rôle de l'État soit plus minimal dans une conception libérale : celui-ci se limite à garantir aux citoyens leurs droits et leurs libertés, en particulier en les préservant de la pression sociale. De ce point de vue, le rayon d'action de la société se trouve raboté aux deux extrémités, individuelle et étatique. Dans la conception républicaine, un rôle plus central est donné aux textes législatifs, ceux-ci pouvant par exemple garantir des libertés positives (liberté de réunion, liberté de parole). Mais surtout les citoyens ont un devoir envers l'État, ou plutôt envers le bien commun, pour lequel ils peuvent être amenés à certains sacrifices, dans une optique éthique. Pour le dire de façon schématique mais claire, le libéralisme est la primauté du juste sur le bien, et le républicanisme est la primauté du bien sur le juste.

Ça se complique

Évidemment, comme je m'attache ici à pointer du doigt les différences qui opposent ces deux idéologies, on pourrait croire que celles-ci sont antinomiques. Il n'en est rien, et elles ont souvent suivi des chemins parallèles. En réalité, la thèse de l'article mentionné dans l'introduction est précisément que de nombreux penseurs se sont approprié une synthèse heureuse du républicanisme et du libéralisme, et l'on peut ainsi voir en Tocqueville ou en Rawls des "libéraux républicains". Durant le siècle des Lumières (et plus généralement chez les philosophe des Lumières, qu'il serait restrictif de réduire au dix-huitième siècle), libéralisme et républicanisme étaient deux avatars de l'anti-monarchisme. Il faudrait également examiner les relations entre ces deux concepts et celui de démocratie, ainsi que la question à cent sous de positionner le tout sur l'omniprésent spectre politique gauche-droite.

Le problème, si l'on veut tenter de répondre à ces questions, est que tout universels que ces termes puissent paraître, ils cachent en réalité une grande variabilité

  1. Individuelle (différents penseurs qui se revendiquent de la même idéologie peuvent conserver des points de désaccord)
  2. Spatiale (le républicanisme en France n'est pas celui des États-Unis)
  3. Temporelle (le républicanisme de Platon n'est pas celui de Sarkozy)

Je ne vais donc pas m'aventurer à répondre aux questions évoquées ci-dessus, mais simplement illustrer la complexité de la chose en me focalisant sur quelques exemples.

Ce qui nous attend

Dans un prochain article, je me concentrerai sur les représentations politiques de ces mouvements en France depuis la Révolution. Nous essaierons de comprendre comment le républicanisme initial s'est incarné politiquement dans le parti le plus à gauche de la chambre, le parti Radical (après une scission avec les "républicains opportunistes"), incarné par Clemenceau, à la fois anti-colonialiste et fervent nationaliste. Nous verrons comment s'est effectué le rapprochement, puis la quasi-fusion avec les socialistes, et l'accès au gouvernement au début du vingtième siècle. Puis s'ouvre un siècle de lente évolution, et il faudra comprendre comment il est possible que ce soit en 2015 Nicolas Sarkozy qui fonde et prend la direction d'un parti qui retrouve son nom : Les Républicains. De même, il nous faudra étudier comment le libéralisme est devenu le fer de lance d'une partie des monarchistes (essentiellement les Orléanistes) au dix-neuvième siècle, et comment les deux formes du libéralisme (sociétal et économique) se sont progressivement scindées, allant jusqu'à incarner l'opposition gauche-droite dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Ce sera alors le moment de se demander si ces deux branches ne sont pas sur le point de fusionner à nouveau, précipitant la fin d'une illusion de diversité de l'offre politique et faisant apparaître de nouveaux clivages.